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Histoire des fenêtres : un spécialiste parle

Atrium Construction : Vous publiez un ouvrage intitulé Les menuiseries de fenêtres, du Moyen Âge à la Révolution industrielle. Quelles sont les raisons qui vous ont amené à étudier l’évolution des fenêtres ?
Hugues Poulain : D’abord, mon métier. J’assure le suivi des travaux de conservation sur les Monuments historiques depuis bientôt 35 ans, et, parmi d’autres centres d’intérêt, j’étudie, à travers les chantiers de restauration, les savoir-faire régionaux et les modes de transmission de la pensée ouvrière. Ensuite,
ma rencontre avec des artisans angevins, eux aussi passionnés par l’art de la menuiserie. Je pense en particulier à Jean-Louis Roger, qui nous a quittés et qui avait publié Châssis de fenêtres aux xve, xvie et xviie siècles, et à Georges Reine, un menuisier en retraite qui écrit également des articles dans des revues spécialisées.
Vous parlez de la fenêtre comme d’un élément du second œuvre indissociable de la notion de confort, à l’origine même de la « naissance de l’intime » dès le Moyen Âge. Comment définissez-vous le rôle de la fenêtre ?
Son rôle est de protéger du froid et d’apporter la lumière du jour. L’évolution de la fenêtre est donc indissociable de l’art du verre au cours des siècles. Dans son Histoire du confort, publiée dans la collection « Que sais-je ? » en 1973, l’économiste et universitaire Jean Fourastié écrit à propos de l’emploi des vitres que « l’importance d’une telle révolution est absolument méconnue » car la fenêtre vitrée a été l’une des conditions nécessaires à l’épanouissement de la civilisation intellectuelle sous nos climats. Chez la bourgeoisie sédentarisée dans les villes dès le Moyen Âge, la notion de confort avec la pose de verrières aux fenêtres devient un vrai souci domestique dans un pays pacifié au sortir de la guerre de Cent Ans.

Quelles sont, selon vous, les grandes évolutions de la fenêtre ?
La première est l’invention du dormant au début du xvie siècle, qui assure l’étanchéité entre la maçonnerie et les châssis ouvrants : auparavant les châssis battaient directement contre l’encadrement des baies, laissant passer le froid et les courants d’air. L’autre grande évolution est, dans la seconde moitié du xviie siècle, le passage de la croisée médiévale à la fenêtre dite « à la française ». Auparavant, la croisée était divisée en 2, 4 ou 6 châssis indépendants entre eux ; l’apparition de la fenêtre à la française permet, pour la première fois dans l’histoire des menuiseries de fenêtres, d’ouvrir les vantaux en grand et sur toute hauteur pour aérer et baigner de lumière les pièces.

Et la vitrerie, connaît-elle aussi des innovations importantes ?
Jusqu’au xviiie siècle, deux procédés de fabrication sont concurrents : les verreries de Normandie qui fabriquent des plats de verre de forme ronde d’environ 80cm de diamètre, et les verreries de Lorraine qui soufflent des manchons ouverts dans la longueur et recuits pour les aplatir. Les plats de verre normands ne permettaient pas de découper des carreaux de grandes dimensions.

Peut-on résumer l’évolution de la fenêtre à travers quelques spécimens ?
Certainement, mais la représentation synoptique de cette évolution serait réductrice et désincarnerait le travail de l’homme. La transmission des savoirs techniques et de la pensée ouvrière sont des éléments essentiels pour comprendre les innovations et aussi le décalage entre la province et l’Île de France. Dans mon ouvrage, par exemple, je présente des études de cas de fenêtres ordinaires qui sont des modèles de transition et qui permettent de mieux saisir les tâtonnements de générations d’artisans pour inventer la fenêtre moderne que nous connaissons.

Vous évoquez le recours à des fausses-fenêtres dans un souci d’équilibre architectural. N’êtes-vous pas en contradiction avec l’idée que vous défendez sur le « mariage de raison technique » qui unit la fenêtre au parti de composition des façades, cet organe auxiliaire n’obéissant qu’à sa propre logique constructive ?
Je ne nie pas la matérialité de la fenêtre in situ qui contribue de fait à l’identité des bâtiments, mais elle préserve d’abord la vie domestique des occupants et apparaît à cet égard comme un paravent de l’intimité. Les fausses-fenêtres et les fenêtres feintes, peintes en trompe-l’œil, sont un arrangement conventionnel avec la réalité, un déni de la fonction première des menuiseries de fenêtres. Elles deviendront très prisées à partir de la naissance du classicisme français. L’ordonnance stricte qui règle l’harmonie des façades à cette époque impose de recourir à des artifices architectoniques pour conserver un semblant de symétrie des ouvertures parfois impossibles à ouvrir en fonction des aménagements intérieurs.

Pourquoi vouloir vulgariser l’histoire des menuiseries de fenêtres ?
Il ne fallait pas courir le risque de ramener l’évolution stylistique à un simple catalogue et d’appauvrir notre vision panoramique de l’histoire des menuiseries de fenêtres, notamment en détaillant la fabrication de quelques fenêtres types. Ma démarche se veut différente, car cette évolution stylistique n’est pas un mouvement d’ensemble même si je m’efforce de donner quelques repères chronologiques. D’autre part, la fenêtre est au cœur de la réflexion que nous devons avoir pour répondre aux performances énergétiques et acoustiques, de sécurité anti-
effraction ou autres, qui sont désormais demandées à cet organe technique.n

L’ouvrage Les menuiseries de fenêtres, du Moyen Âge à la Révolution industrielle, de Hugues Poulain, est publié aux éditions Cheminements (www.cheminements.fr). Il sera disponible à la fin août 2010. Riche en témoignages et documents anciens, complété par de nombreux relevés de menuiseries, l’auteur rend vivante et passionnante cette histoire des fenêtres qui s’ouvre en grand sur la connaissance du patrimoine monumental et de l’architecture rurale.

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