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Restaurer le pan de bois

Restaurer sans trahir, rétablir l’état d’usage et les fonctions mécaniques de la structure, garder la souplesse et la sensation de séduisant mystère dont le bâti ancien sait nous envelopper, telles sont les gageures auxquelles sont confrontés les amoureux du patrimoine.
François Calame

Docteur en ethnologie, titulaire d’un master en restauration des biens culturels, François Calame a été apprenti chez les Compagnons charpentiers du Devoir. Il a fondé, à partir de 1992, le collectif Char­pentiers sans Frontières qui réunit plusieurs centaines de charpentiers dans le monde entier, adeptes de la charpente à la main, à partir des arbres sur pieds. Conseiller pour l’ethnologie à la Direction régionale des affaires culturelles de Normandie, il a porté le dossier du Trait de charpente à la française sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco en 2009.

François Calame

À la question « Faut-il parler de maisons à pan de bois ou en pan de bois ? », la réponse est, bien sûr, qu’il faut dire « en pan de bois ». La logique veut en effet que cette manière d’édifier un bâti issu de longues traditions constructives est fortement attachée à un principe structurel et non au placage d’un décor. Toute la force de l’univers et du savoir du charpentier réside là. Construire, c’est mettre en œuvre des matériaux vivants, pesants et riches de forces et de résistance. Je me souviens avoir été sollicité, il y a quelques années, par une école d’architecture qui souhaitait une intervention sur le pan de bois pour ses élèves, avec manipulation de matière à caractère pédagogique : c’était bien ! Mais là où nos points de vue ont divergé, c’est que l’enseignant souhaitait mettre en œuvre des modèles en bois de petites tailles, de type tasseaux, boîtes de construction, alors que je suggérais la mise sur pied d’une séance concrète de charpente à échelle un, mettant en œuvre de vrais morceaux de bois, avec leur masse et leur dureté, avec de vrais assemblages : bref, se confronter, même de façon limitée, à la réalité du chantier, de la matière et du geste. Cette expérience me paraissait importante à tenter, dans un contexte où le virtuel et le conceptuel tendent à se substituer à l’expérience sensible et matérielle.

Quelques définitions s’imposent en complément : parlons-nous de pan de bois ou de colombages ? Y a-t-il une différence ?

Immeuble urbain en pan de bois, rue Eau-de-Robec, à Rouen (Seine-Maritime). Photos et doc. : François Calame
Manoir en pan de bois 16e siècle en encorbellement, et sa restauration minutieuse effectuée par le charpentier Axel Weller, sous la direction de l’architecte en chef Régis Martin ; manoir d’Hautot-Mesnil à Montreuil-en-Caux, Seine-Maritime.
Colombage orné en style néo-médiéval, vers 1850, Angerville-Bailleul, Seine-Maritime.

APPROCHE

Storck définit le pan de bois comme « un assemblage de pièces de charpente, employé extérieurement pour constituer la carcasse d’une construction, ou intérieurement pour en établir les divisions ». Il y adjoint systématiquement un remplissage des vides en maçonnerie, ce qui, à mon avis, est trop restrictif puisque de nombreux pans de bois sont vides. Quant au colombage, on peut lire que ce terme (au singulier) désigne une « rangée de poteaux placés verticalement dans une cloison ou dans un pan de bois. Cette dénomination s’applique aussi à l’ensemble du pan de bois hourdi en plâtre ou en mortier, avec ou sans enduit ». On constate donc que l’emploi de ces deux termes peut être assez équivalent. C’est toujours le cas aujourd’hui.

La construction structurelle en bois massif occupe encore une place substantielle dans notre pays. Elle est liée bien sûr à la présence historique du matériau bois et de la forêt dans certaines régions, davantage que dans d’autres. Mais on se souvient que la présence physique d’un matériau à un endroit donné n’explique pas entièrement son emploi privilégié dans l’architecture locale. De nombreux para­mètres culturels et historiques contribuent en effet à ces pratiques. La nature propose, et les hommes disposent.

Ainsi, pour ne prendre que cet exemple, on constate qu’en France la construction des villes a beaucoup favorisé l’emploi du matériau bois dès l’époque gallo-romaine car sa manutention et son stockage, sa rapidité de mise œuvre enfin, étaient compatibles avec la concentration des espaces d’une part, et avec l’acheminement des grumes ou poutres par voies fluviales d’autre part. Donc, typiquement, le milieu urbain, pauvre en ressource bois, a pu, de longue date, s’approvisionner depuis les forêts parfois très lointaines par flottage. Un exemple fameux en est Paris, exploitant à distance les forêts de l’Yonne, de Champagne, de Picardie et disposant sous l’Ancien Régime de docks aux bois de charpente impressionnants. Les fouilles archéologiques du quartier Saint-Leu à Amiens ont révélé la présence d’un quartier entier construit en pan de bois à l’époque gallo-romaine (1er siècle), présentant les techniques déjà très abouties de soles assemblées avec les poteaux à tenon et mortaise.

 

PRÉSERVER LA STRUCTURE 

Le principe du pan de bois repose sur une boîte parallélépipédique posée sur une embase maçonnée, le solin, destinée à isoler la structure bois des remontées capillaires verticales d’humidité. Les panneaux plans eux-mêmes doivent être stabilisés dans leur structure contre tout mouvement tendant à les transformer en parallélogrammes, articulés donc mobiles : c’est la fonction du contreventement. Celle-ci est assurée en introduisant dans chaque plan un ou plusieurs triangles, figure géométrique indéformable. Les pièces de charpente assurant cette fonction sont les liens ou les décharges. Il est vital de les préserver, et, éventuellement, de les reconstituer si elles ont été supprimées dans des travaux inopportuns ayant affecté l’édifice. Il n’est ainsi pas rare de voir des logements ou anciennes granges dont les éléments de contreventement ont été supprimés pour augmenter l’habitabilité. Il faut noter que dans certaines régions fameuses comme le pays d’Auge, il arrive que les colombages médiévaux ne laissent apparaître en façade qu’un réseau vertical de poteaux, et que les décharges de contreventement indispensables soient assemblées à l’intérieur en doublement du réseau de façade, sans être apparentes de l’extérieur. L’effet est donc trompeur.

PRÉSERVER LA STRUCTURE 

Le principe du pan de bois repose sur une boîte parallélépipédique posée sur une embase maçonnée, le solin, destinée à isoler la structure bois des remontées capillaires verticales d’humidité. Les panneaux plans eux-mêmes doivent être stabilisés dans leur structure contre tout mouvement tendant à les transformer en parallélogrammes, articulés donc mobiles : c’est la fonction du contreventement. Celle-ci est assurée en introduisant dans chaque plan un ou plusieurs triangles, figure géométrique indéformable. Les pièces de charpente assurant cette fonction sont les liens ou les décharges. Il est vital de les préserver, et, éventuellement, de les reconstituer si elles ont été supprimées dans des travaux inopportuns ayant affecté l’édifice. Il n’est ainsi pas rare de voir des logements ou anciennes granges dont les éléments de contreventement ont été supprimés pour augmenter l’habitabilité. Il faut noter que dans certaines régions fameuses comme le pays d’Auge, il arrive que les colombages médiévaux ne laissent apparaître en façade qu’un réseau vertical de poteaux, et que les décharges de contreventement indispensables soient assemblées à l’intérieur en doublement du réseau de façade, sans être apparentes de l’extérieur. L’effet est donc trompeur.

Chaperons taillés en pied de poteaux pour protéger les mortaises de l’eau pluviale.

Respiration 

Il est à signaler que la bonne conservation dans le temps des pans de bois et de leur remplissage tient à leur caractère respirant. Une façade en matériaux vivants et souples se doit d’échanger hygrométriquement entre intérieur et extérieur de l’édifice. Très fréquemment, des interventions malheureuses ont cru rétablir une solidité et une protection à une structure fragile en recouvrant tout ou partie du mur par un enduit de ciment (gris ou blanc) ou de chaux hydraulique trop raides et non respirants. Le résultat est inévitablement une fissuration des enduits, trop rigides pour suivre les variations dimensionnelles du panneau, ou de tout l’édifice, et un pourrissement des bois à l’intérieur de la gangue étanche. Notez l’effet pernicieux des fentes et fissures sur les enduits qui laissent entrer l’eau de pluie comme dans un couloir et empêchent sa sudation ultérieure. Même les remplissages entre colombages exécutés au mortier hydraulique non respirant ont pour effet de retenir l’eau de ruissellement derrière la paroi, et donc de causer, à terme, un pourrissement des bois.

Écoulement

D’une façon générale, pour préserver les bois de l’eau stagnante, le bon sens guidera toujours vers les aménagements qui évitent à l’eau de demeurer en flaque à la surface du bois, que celui-ci soit exposé à l’extérieur ou qu’il soit enfermé à l’intérieur des parois ou enduits. Ainsi, le charpentier façonnera toujours un léger effet de pente vers l’extérieur à la surface des pièces horizontales (soles, entretoises). Des tablettes faites de planches de chêne sont disposées en pente sur les appuis des baies. Il est à prévoir de les remplacer périodiquement. De la même manière, les assemblages de soles sur poteau avec embrèvement, prévoient le sens de l’embrèvement de façon à recouvrir l’entrée de la mortaise du poteau. Un point impor­tant concerne toujours pour les soles horizontales accueillant de nombreuses mortaises de poteaux, le percement de trous ronds au fond de ces dernières (au moins un par mortaise) pour permettre l’écoulement des eaux parvenues à s’y introduire. Ainsi, au lieu de pourrir le fond des mortaises et donc la sole, les eaux peuvent librement ressortir sous celle-ci, dès l’instant qu’elles ne s’introduisent pas dans la maçonnerie du solin. L’écoulement doit être dirigé vers l’extérieur du mur.

Technique de carroyage au cordeau permettant les relevés précis des pièces à changer dans un pan de bois après incendie (entreprise Rémy Desmonts, Villez-sur-le-Neubourg).
Mise sur épure d’un pignon en pan de bois trop dégradé pour être restauré. Les rares pièces de bois sauvables sont placées parmi les bois neufs dans leur position d’origine (Aclou, Eure).

PRÉSERVER LE STYLE DU PAN DE BOIS 

Quelques remarques préalables à toute intervention porteront sur le respect à apporter au style du pan de bois originel. C’est une évidence de rappeler que chaque période et chaque terroir présentent une manière spécifique de concevoir le métier. Il découle de chaque contexte une esthétique parfaitement codifiée, même si elle n’est jamais explicitement décrite dans des manuels ou des traités anciens. Je prendrai simplement, ici, les exemples liés à la pratique savante, ou à la pratique rurale de l’art de bâtir. Concernant un pan de bois paysan de région pauvre en ce matériau, comme la Picardie, l’œuvre ne saurait être traitée de la même manière qu’un pan de bois luxueux où l’abondance des fortes sections compose l’identité même du bâti régional ancien. Il existe des écoles dans l’art de bâtir, fondées sur la copie d’exemples fameux, constitués à un moment donné comme une source d’inspiration que le client ou l’artisan cherchent à reproduire. Le restaurateur saura donc avant tout observer et étudier les sources archivistiques et les exemples encore authentiques en place. On aura donc soin de ne pas introduire des motifs de colombages très typiques comme les chaises curules alsaciennes dans le vocabulaire stylistique basque, ou la multiplication des guettes obliques du pays d’Auge dans d’autres régions normandes qui n’en avaient pas l’usage.

On constate que dans différentes régions ou à différentes époques, le pan de bois n’a pas toujours été conçu pour rester apparent. Alors que le pan de bois médiéval du Nord de la France (Picardie, Normandie, Champagne…) a été conçu pour être apparent des deux côtés du mur, quitte à tolérer d’importants ponts thermiques, le colombage au 19e siècle est fréquemment destiné à être masqué par des enduits de plâtre ou de chaux. Les règlements royaux ou municipaux de protection contre les incendies ont puissamment œuvré dans ce sens. Rappelons enfin que dans des régions pauvres en bois dur, comme dans les Hauts-de-France, le pan de bois, dès le 18e siècle, use très souvent de bois vulnérables aux intempéries et donc se couvre, dès l’origine, d’enduits passés au lait de chaux.

 

LES ESSENCES UTILISÉES DANS LE PAN DE BOIS

Le pan de bois utilise systématiquement un bois dur connu pour sa bonne résistance mécanique, son aptitude à encaisser de nombreux assemblages à proxi­mité les uns des autres. Pour cette raison, on ne trouvera pas de châtaignier pour la réalisation des soles ou pièces horizontales percées de nombreuses mortaises. En effet, une suite de mortaises alignées dans un bois facile à fendre causerait précisément la fissuration de toute la pièce. Le chêne est donc de loin le bois le plus utilisé en charpente d’extérieur. L’orme peut se rencontrer pour des colombes verticales, mais pas pour des pièces hori­zontales (sa résistance à l’humidité est très faible). Le tremble, ou grisard, bois léger mais étonnamment résistant, est mis en œuvre dans certaines régions comme la Champagne, y compris pour des poteaux extérieurs. Les résineux se trouvent souvent dans les constructions de l’Est de la France, mais toujours avec la réserve à observer s’agissant des pièces horizontales susceptibles de laisser stagner les eaux de pluie.

Un détail intéressant concerne le bois de hêtre. En France, s’il est prisé par les menuisiers et les ébénistes, le hêtre est proscrit par les charpentiers qui lui reprochent d’être cassant et, surtout, de très mal résister à l’humidité. Cet interdit peut toutefois surprendre pour l’usage en charpente intérieure. J’ai constaté une seule fois en effet son usage en pan de bois de cloison intérieure en Picardie. En revanche, son emploi est très fréquent pour le pan de bois extérieur dans les Balkans où je l’ai maintes fois observé ; par exemple, en Macédoine. Mais, sans doute, s’agit-il là d’une variété de montagne beaucoup plus résistante aux intempéries.

Restauration de sole par enture en trait de Jupiter avec clés, changement d’appui de fenêtre ; manoir d’Hautot-Mesnil (Montreuil-en-Caux, Seine-Maritime). Charpentier : Axel Weller ; architecte en chef : Régis Martin.

MOBILITÉ ET RÉPARATION DU PAN DE BOIS 

La construction en pan de bois a pour particularité de constituer des ossatures préfabriquées, montables et démontables. Le principe des assemblages à tenon et mortaise chevillés permet justement d’intéressantes possibilités de mobilité de la construction. Dans certaines régions françaises, au regard des pratiques coutumières, le bâti en pan de bois était considéré comme bien meuble. Lors de partages successoraux, il était fréquent que le bâti soit morcelé, démonté ou même roulé pour être déplacé d’un endroit à un autre au gré des héritages. Le principe du démontage des maisons anciennes n’a rien de contestable en soi, il a d’ailleurs favorisé le développement des musées de plein-air, à la suite du premier d’entre eux, le fameux Skansen suédois fondé en 1891. Le démontage est d’ailleurs souvent pratiqué pour permettre ensuite un repassage sur épure des différents panneaux de la construction. Les entreprises très mécanisées encouragent cette pratique car elle permet aux équipes de travailler à l’abri et d’utiliser les machines pour tailler les pièces à changer. Par ailleurs, nombreuses sont les constructions vendues pour être démontées et déplacées pour satisfaire à de nouveaux usages. C’est parfois la seule possibilité pour sauver certains édifices condamnés à leur emplacement d’origine. En dehors de cas extrêmes de sauvetage, je suis partisan de la restauration in situ de la structure sans démontage.

En effet, le démontage, même pratiqué avec grand soin, entraîne toujours une perte importante de pièces de charpente ancienne qui ne résistent pas à ce traitement, car les bois secs ont perdu beaucoup de leur souplesse, en particulier les tenons et mortaises assemblés à tire. Des pièces encore très robustes prises dans un ensemble ne résistent pas à un désassemblage ni à une manutention. Le démontage entraîne également la perte totale des éléments de maçonnerie, des enduits, patines, etc.La restauration in situ, même si elle est plus exigeante pour le charpentier qui doit donc travailler sur place, permettra toujours une restauration infiniment plus respectueuse de la dimension patrimoniale du bâti. L’usage des faux-tenons, des entures, des équerres et renforts métalliques constitue une gamme variée de solutions permettant de sauvegarder le maximum de bois d’origine, donc, du même coup, l’authenticité du bâti.

Restauration par greffes ; grange d’Aclou, Eure.
Taille de trait de Jupiter dans un bois ancien (Axel Weller, charpentier).
Enture sur sablière d’encorbellement (Axel Weller, charpentier).
Utilisation critiquable de résine par coffrage irréversible, enfermant les pièces de bois dans une gangue non respirante.
Recours inesthétique à des procédés de vieillissement artificiel: rabot électrique pour simuler l’équarrissage, et vernis synthétiques.

RESTAURER DES PARTIES DÉGRADÉES

Pathologies

La pathologie des édifices en pan de bois peut se ranger grossièrement en deux catégories. La première touche aux contraintes et aux descentes de charge propres aux ouvrages de charpente en général : vétusté, défaut d’entretien ou de conception initiale, surcharge des planchers, fuites de toiture entraînant des pourrissements de pièces porteuses. La seconde est spécifique aux problèmes très courants des pourrissements et affaissements en pied de mur causés généralement par la présence d’humidité par eaux de ruissellement d’une part, et remontées capillaires d’autre part. On évoquera ici le cas des soles horizontales de bas de mur pourries pour l’une et/ou l’autre raison.

Il conviendra, en premier lieu, d’identifier et de solutionner durablement la cause de l’arrivée d’humidité. Dans le cas du manoir de Salverte, en Normandie, en 2014, le charpentier Florian Carpentier a constaté que la présence récurrente d’humidité dans le bas des murs de torchis venait du fruit progressif enregistré par la structure, fléchissant au fil du temps. Résoudre l’origine de la pathologie a consisté à démonter le bas de la construction et à la remonter à l’aplomb de la sablière haute d’origine, de façon à recouvrir à nouveau l’ensemble du mur par le débord de toiture. La résolution des problèmes de drainage de bas de mur gorgés d’eau peut nécessiter des travaux de terrassement et de maçonnerie, préalables à toute réfection de charpente.

Travaux

Venons-en à présent aux travaux sur le pan de bois proprement dit. La question est, bien sûr, de s’adresser à la bonne personne : beaucoup trop de clients demandent au maçon de résoudre ce type de problème au lieu de s’adresser à un charpentier. La solution proposée alors consiste trop souvent à simplement remplacer la cloison en pan de bois initiale par un mur maçonné, au moins au rez-de-chaussée. Il est rare que le pan de bois soit entièrement pourri. Souvent, c’est le cas de la sole et du bas des colombes ou des poteaux de fond. Il faut donc, dans ce cas, remplacer tout ou partie de la sole. Si des portions de la sole sont encore saines, on peut procéder à des greffes, dites entures. Ces assemblages spécifiques à deux pièces de bois reliées longitudinalement peuvent s’effectuer à n’importe quel endroit de la sole dans la mesure où celle-ci repose sur toute sa longueur sur un solin maçonné. Toutefois, on préférera toujours effectuer ces raccords au droit d’un poteau de fond de façon à combiner l’assemblage à tenon et mortaise du pied de poteau avec l’enture. Cette dernière est de type mi-bois ou, mieux, en sifflet désa­bouté. Comme, dans l’idéal, ces raccords doivent être autoserrants, il sera hautement appréciable de réa­liser un trait de Jupiter avec clés. Rappelons que la fonction de ces sablières basses que sont les soles est de fournir un ceinturage à l’ensemble du panneau ou de l’édifice complet, d’où la nécessité d’avoir des entures bien solidarisées. Quant aux poteaux de colombage dégradés en partie basse, il convient autant que possible de les conserver plutôt que de les remplacer. On procédera donc également à des entures permettant de remplacer les parties manquantes.

Il faudra aussi veiller à disposer le sens de la coupe de façon à rejeter les eaux de ruissellement vers l’extérieur, et non à collecter l’eau vers l’intérieur du poteau. Enfin, lorsque le bas du pan de bois est ainsi très abîmé, on peut souvent rehausser le niveau de la sole, et raccourcir le bas des poteaux, ce qui offre la facilité d’éviter de réaliser les entures en pied de ces derniers. Il suffira ensuite de remonter le niveau du solin de maçonnerie. Pour éviter les remontées capillaires ultérieures dans les pieds de poteaux, on intercale une ardoise ou une feuille de feutre bitumineux sous le pied du poteau en bois. Enfin, il sera essentiel d’éviter que le joint de maçonnerie entre la sole et le solin n’enferme le bois sous le niveau du joint de chaux. Tout bois enfermé dans une maçonnerie étanche tend fatalement à pourrir.
Mise en garde

On évoquera brièvement le cas du recours à des résines synthétiques, considéré à tort comme la panacée pour pallier l’appauvrissement des savoir-faire. Il faut reconnaître que, dans des immeubles dégradés, il n’est pas rare d’observer un nœud d’assemblage, parfois vital pour la stabilité de l’ensemble, gangréné par la pourriture. Il est aisé de coffrer l’ensemble et de couler un moulage en résine synthétique. Mais le sujet fait l’objet de débats contradictoires. Pour ma part, je reste partisan de la charpenterie classique car les observations bénéficiant du recul de nombreuses années après des restaurations à la résine ont montré la trop grande dureté de la prothèse ainsi qu’une impossibilité pour l’ensemble de respirer. S’ajoute à cela l’absence de réversibilité du résultat, principe de base du travail du restaurateur. J’invite donc le lecteur à n’envisager la restauration à l’aide de résine qu’avec la plus grande prudence, et seulement après avoir étudié à fond les différentes solutions qu’offrent les greffes d’assemblage en charpente utilisant du bois bien sec (12 % d’humidité) et/ou la pose de ferrures métalliques de renfort.

RESTAURER DES PARTIES DÉGRADÉES

Pathologies

La pathologie des édifices en pan de bois peut se ranger grossièrement en deux catégories. La première touche aux contraintes et aux descentes de charge propres aux ouvrages de charpente en général : vétusté, défaut d’entretien ou de conception initiale, surcharge des planchers, fuites de toiture entraînant des pourrissements de pièces porteuses. La seconde est spécifique aux problèmes très courants des pourrissements et affaissements en pied de mur causés généralement par la présence d’humidité par eaux de ruissellement d’une part, et remontées capillaires d’autre part. On évoquera ici le cas des soles horizontales de bas de mur pourries pour l’une et/ou l’autre raison.
Il conviendra, en premier lieu, d’identifier et de solutionner durablement la cause de l’arrivée d’humidité. Dans le cas du manoir de Salverte, en Normandie, en 2014, le charpentier Florian Carpentier a constaté que la présence récurrente d’humidité dans le bas des murs de torchis venait du fruit progressif enregistré par la structure, fléchissant au fil du temps. Résoudre l’origine de la pathologie a consisté à démonter le bas de la construction et à la remonter à l’aplomb de la sablière haute d’origine, de façon à recouvrir à nouveau l’ensemble du mur par le débord de toiture. La résolution des problèmes de drainage de bas de mur gorgés d’eau peut nécessiter des travaux de terrassement et de maçonnerie, préalables à toute réfection de charpente.

Travaux

Venons-en à présent aux travaux sur le pan de bois proprement dit. La question est, bien sûr, de s’adresser à la bonne personne : beaucoup trop de clients demandent au maçon de résoudre ce type de problème au lieu de s’adresser à un charpentier. La solution proposée alors consiste trop souvent à simplement remplacer la cloison en pan de bois initiale par un mur maçonné, au moins au rez-de-chaussée. Il est rare que le pan de bois soit entièrement pourri. Souvent, c’est le cas de la sole et du bas des colombes ou des poteaux de fond. Il faut donc, dans ce cas, remplacer tout ou partie de la sole. Si des portions de la sole sont encore saines, on peut procéder à des greffes, dites entures. Ces assemblages spécifiques à deux pièces de bois reliées longitudinalement peuvent s’effectuer à n’importe quel endroit de la sole dans la mesure où celle-ci repose sur toute sa longueur sur un solin maçonné. Toutefois, on préférera toujours effectuer ces raccords au droit d’un poteau de fond de façon à combiner l’assemblage à tenon et mortaise du pied de poteau avec l’enture.

Cette dernière est de type mi-bois ou, mieux, en sifflet désa­bouté. Comme, dans l’idéal, ces raccords doivent être autoserrants, il sera hautement appréciable de réa­liser un trait de Jupiter avec clés. Rappelons que la fonction de ces sablières basses que sont les soles est de fournir un ceinturage à l’ensemble du panneau ou de l’édifice complet, d’où la nécessité d’avoir des entures bien solidarisées. Quant aux poteaux de colombage dégradés en partie basse, il convient autant que possible de les conserver plutôt que de les remplacer. On procédera donc également à des entures permettant de remplacer les parties manquantes. Il faudra aussi veiller à disposer le sens de la coupe de façon à rejeter les eaux de ruissellement vers l’extérieur, et non à collecter l’eau vers l’intérieur du poteau. Enfin, lorsque le bas du pan de bois est ainsi très abîmé, on peut souvent rehausser le niveau de la sole, et raccourcir le bas des poteaux, ce qui offre la facilité d’éviter de réaliser les entures en pied de ces derniers. Il suffira ensuite de remonter le niveau du solin de maçonnerie. Pour éviter les remontées capillaires ultérieures dans les pieds de poteaux, on intercale une ardoise ou une feuille de feutre bitumineux sous le pied du poteau en bois. Enfin, il sera essentiel d’éviter que le joint de maçonnerie entre la sole et le solin n’enferme le bois sous le niveau du joint de chaux. Tout bois enfermé dans une maçonnerie étanche tend fatalement à pourrir.

Mise en garde

On évoquera brièvement le cas du recours à des résines synthétiques, considéré à tort comme la panacée pour pallier l’appauvrissement des savoir-faire. Il faut reconnaître que, dans des immeubles dégradés, il n’est pas rare d’observer un nœud d’assemblage, parfois vital pour la stabilité de l’ensemble, gangréné par la pourriture. Il est aisé de coffrer l’ensemble et de couler un moulage en résine synthétique. Mais le sujet fait l’objet de débats contradictoires. Pour ma part, je reste partisan de la charpenterie classique car les observations bénéficiant du recul de nombreuses années après des restaurations à la résine ont montré la trop grande dureté de la prothèse ainsi qu’une impossibilité pour l’ensemble de respirer. S’ajoute à cela l’absence de réversibilité du résultat, principe de base du travail du restaurateur. J’invite donc le lecteur à n’envisager la restauration à l’aide de résine qu’avec la plus grande prudence, et seulement après avoir étudié à fond les différentes solutions qu’offrent les greffes d’assemblage en charpente utilisant du bois bien sec (12 % d’humidité) et/ou la pose de ferrures métalliques de renfort.

Sciage de long sur cintre en chêne permettant l’obtention d’effets de symétrie très esthétiques (Charpentiers sans Frontières).

TRAITEMENT DE SURFACE ET APPRÊT 

Le cœur de chêne, imprégné naturellement de lignine, se passe de toute protection chimique et résiste efficacement à l’humidité pour peu qu’il soit placé dans un contexte ventilé. Les pans de bois peuvent traditionnellement être peints en extérieur ou en intérieur. Cependant, le choix de la peinture est essentiel et l’emploi de peintures non respirantes peut être très préjudiciable à la conservation des bois. On mentionnera ici la recette d’un peintre picard dont j’ai pu apprécier maintes fois le talent. Cette peinture à l’huile vaut tant pour les pans de bois que pour les menuiseries extérieures. Couche d’impression : blanc de zinc en pâte, broyé au bâton dans une tine, avec huile de lin et essence de térébenthine + siccatif. Première couche avec pigments colorés en poudre + 20 % de térébenthine et 80 % d’huile de lin + siccatif. Deuxième couche à l’huile de lin pure + siccatif.

Le plus souvent, le bois des colombages est laissé à nu, et se recouvre très vite d’une patine naturelle grise qui, en quelques mois, tendra à unifier la teinte générale d’une façade. Point n’est besoin donc d’utiliser des colorants et autres lasures. À noter que les coulures de tannin des bois du chêne neuf sur les maçonneries et solins ne constituent pas un défaut en soi. Différents procédés sont en usage pour les nettoyer (eau oxygénée, eau de javel, etc.). De toutes façons, les coulures s’atténueront progressivement.

LE FAÇONNAGE DES BOIS À LA MAIN

Depuis la première guerre mondiale, l’emploi des techniques mécanisées a, dans notre pays, complètement supplanté les pratiques séculaires manuelles de la charpente, au nom de la marche du progrès. S’il n’est pas question, ici, de contester les avancées de la technologie et de l’automation, il est important, en revanche, de rappeler que les professionnels gagnent hautement à maintenir vivant le domaine des savoir-faire à la main, et de conserver le rapport direct à la matière vivante qu’est l’arbre, source essentielle des matériaux qui composent notre cadre de vie privilégié.

Un nombre de plus en plus significatif de charpentiers professionnels pratiquent aujourd’hui, tant en France qu’à l’étranger, la technique de travail du bois frais. Ces techniques que l’on croyait oubliées bénéficient aujourd’hui d’un réel enthousiasme tant de la part des professionnels que de celle de la clientèle et des architectes. Le principe consiste à rétablir un lien direct entre le projet architectural, la ressource de proximité et l’entreprise. Dans certains cas, le bois, en particulier, le chêne, peut être travaillé avec les techniques traditionnelles à la main tant en restauration qu’en création ou extension à partir de pan de bois ancien. Dès lors que les techniques à la main redeviennent familières à l’artisan, les arbres de proximité sont à portée, dans leur facilité d’accès et dans leur particularité d’aspect. On peut ainsi retrouver les formes souples et accueillantes du bâti ancien.
L’abattage des chênes se fait en hiver (sève basse), et l’équarrissage à la hache peut se pratiquer immédiatement.

Le bois vert est travaillé et assemblé aussitôt après. Il séchera dans la structure par la suite. Les assemblages à tenon et mortaise à tire permettent de faire plaquer correctement les assemblages, et ce dans la longue durée. Certaines entreprises, très à l’aise aujourd’hui avec ces techniques, produisent un équarrissage opérationnel à raison d’un mètre carré à l’heure, toute préparation et tracé des grumes inclus
Rappelons que, dans le cas des greffes en réparation sur du pan de bois ancien, l’usage du bois frais demande une maîtrise parfaite des techniques de la part du charpentier, de façon à éviter des retraits et déformations ultérieures lors du séchage. L’emploi du bois vert façonné à la main pourra permettre particulièrement de retrouver en restauration l’aspect caractéristique de la construction patrimoniale et de préserver ainsi l’âme du bâti ancien, si difficile à transmettre dès lors que l’on se lance dans des travaux importants.

Cet article est extrait du n°89 d’Atrium, patrimoine & restauration
Pour consulter un extrait du n°89 en version numérique ici
Pour obtenir la version papier et intégrale du n°89 ici

Restauration in situ d’un pignon, entures, renforts métalliques ; grange de Daubeuf-la-Campagne, Eure, 2011.
Technique d’équarrissage à la hache (Charpentiers sans Frontières).
Aspect de surface obtenu par équarrissage (Charpentiers sans Frontières).
 Utilisation très soignée de bois naturellement courbes au 18e siècle ; immeuble urbain rue de la Croix-de-Fer, Rouen (Seine-Maritime).